RELOCALISATION :INTERVIEW CROISÉE EULEOS ZALIS
Relocalisation : quel intérêt pour les entreprises implantées ailleurs ? Quel rôle pour l’état ? Nous avons posé ces questions à Jean Messinesi, Senior Advisor chez Zalis, Président honoraire du tribunal de commerce de Paris (2016 – 2019). Voici ses réponses.
EULEOS : Pourquoi une entreprise de taille internationale peut / doit-elle décider de relocaliser en France ?
JM : Les entreprises de taille internationale ne sont pas parmi les premières à se relocaliser. En fait, elles sont souvent mobiles et sensibles aux modifications des marchés et aux changements d’avantages comparatifs, elles ont donc plus tendances à changer de localisation plutôt qu’à se relocaliser en France. En réalité, elles réagissent aux avantages qu’elles perçoivent dans des marchés en évolution constante. Ainsi, le Viet Nam, a-t-il bénéficié ces 10 dernières années de nouvelles implantations industrielles au détriment d’autres pays de l’Asie du sud-est ou d’Europe. Ce qui pousse les entreprises internationales à créer de nouvelles implantations industrielles c’est aussi l’émergence de nouveau marchés, comme pour les constructeurs automobiles au Maroc, avec l’ambition de servir l’Afrique.
Ce sont plutôt les entreprises de taille moyenne ou les petites entreprises innovantes qui relocalisent, souvent pour des raisons de logistique, de qualité de fabrication ou de protection de leurs secrets industriels. Les coûts de production plus élevés en France (coûts du travail, poids de la fiscalité) étant en partie compensés par les économies réalisées sur la logistique, le transport, l’expatriation, et le recours à des conseils locaux. Enfin, on peut mentionner le facteur « made in France » encore que cela dépende beaucoup du produit.
EULEOS : Quel intérêt pour de l’entreprise de relocaliser ?
JM : L’intérêt des entreprises qui relocalisent ou étudient sérieusement une relocalisation, peut être multiple. Dans un rapport, certes ancien puisqu’il date de 2013, de l’Association du Centre d’Etudes des Dynamiques Internationales de Paris-Dauphine, les auteurs relevaient un faisceau de 12 « leviers » principaux. Ces leviers qui jouent des rôles plus ou moins importants selon les entreprises, leurs stratégies, leur ADN, sont toujours d’actualité ; parmi les principaux, on peut mentionner les leviers positifs, ceux qui encouragent les entreprises à relocaliser, tels que le coût de l’investissement (les aides publiques locales ou nationales pouvant réduire ce coût comme celui de l’immobilier), la facilité des transports et des communication, la présence de main d’œuvre qualifiée offrant une garantie de qualité. Inversement et les leviers négatifs sont ceux qui sont liés à des déboires qu’a connus l’entreprise, ou ses concurrents, dans des pays étrangers ; copies, contrefaçon, corruption, faible réactivité à l’innovation, difficulté d’approvisionnement et de distribution, problèmes sociaux et de droit du travail. Tous ces éléments et d’autres sont spécifiques à chaque entreprise, chacune a son intérêt, ou son faisceau d’intérêts à la relocalisation.
EULEOS : L’Etat agit-il ? et doit il agir ?
JM : Personnellement, je ne pense pas que l’Etat doive agir directement pour subventionner les relocalisations. La multiplication des aides, des subventions et des incitations au niveau des collectivité locales et de l’Etat ne peut que créer des distorsions et des déséquilibres préjudiciables à la transparence du fonctionnement du marché. Certes, on peut imaginer une économie planifiée dans laquelle les incitations et les subventions, qui sont toujours en fin de compte payées par quelqu’un, soient multipliées pour amener les entreprises à relocaliser. Cela me semble pervers, et d’ailleurs contraire au droit de l’Union Européenne puisque cela contribue à affecter la concurrence. En revanche, il est essentiel que l’Etat crée les conditions d’une concurrence ouverte et saine entre les états de l’Union et qu’éventuellement il prenne des mesures correctrices qui rétablissent cette concurrence lorsqu’elle n’est assurée. Ainsi, les règles fiscales globales, les règles concernant le droit du travail, les simplifications des procédures administratives, devraient-elles être alignées sur celles qui prévalent chez nos voisins.
EULEOS : Existe-t-il des aides à la relocalisation ?
JM : Malheureusement il existe déjà des aides à la relocalisation ou à la localisation tout court. Certains départements, certaines régions font assaut de subventions pour attirer l’investisseur. Et plus récemment, en août dernier, le gouvernement a annoncé que les relocalisations étaient une priorité, en particulier dans le domaine des productions pharmaceutiques. Les bons esprits s’étaient en effet émus d’apprendre que les molécules de base, même pour le paracétamol étaient produites en Asie. La récente annonce du gouvernement ne parle pas ouvertement d’aides à la relocalisation mais plutôt de mesures globales : baisse des impôts à la production, investissement dans la formation des jeunes, simplification des procédures, en particulier de demandes d’autorisation de mises sur le marché. Cela ne constitue pas des aides directes à la relocalisation, et c’est bien. Malheureusement, on a aussi entendu Bercy annoncer que cinq « secteurs d’avenir » : l’agroalimentaire, la santé, l’électronique, les intrants pour l’industrie, les principes actifs pour les médicaments et l’industrie des objets connectés, bénéficieraient de soutiens financiers donnés par la BPI. A suivre…
Ce qu’il faut promouvoir ce sont les politiques générales qui vont encourager les entreprises à faire le choix de la France plutôt que celui des pays de l’Europe du sud ou de l’Asie. Ces politiques générales ce sont celles qui encouragent la recherche fondamentale, la formation des jeunes et bien entendu pas seulement de ceux qui seront diplômés d’écoles d’ingénieurs, mais aussi des futurs techniciens et agents de maîtrise. Il faut aussi que soit encouragé l’apprentissage et l’expatriation ; c’est en voyant ce qui se fait à l’étranger et en donnant à nos concitoyens une plus grande ouverture sur le monde que nous pourrons mieux le conquérir à partir de nos bases nationales.
EULEOS : Existe-t-il un terreau régional à la relocalisation ?
JM : Le terreau régional c’est comme les coiffeurs parisiens dont nous vantions les talents il y a une cinquantaine d’années pour attirer les entreprises étrangères à Paris. Chaque région a son charme et ses atouts. Par ailleurs, constituer des pôles industriels spécialisés (électronique, décolletage, aéronautique, etc.) c’est révélé à double tranchant car quand le secteur souffre, c’est toute la région qui souffre. Ce qui est essentiel c’est de décloisonner et de faire connaitre et de rendre attirantes des régions parfois oubliées.
EULEOS : Les français sont-ils prêts à payer plus cher du made in France ?
JM : Il faut leur demander, ce qui est sûr c’est que l’on fait aujourd’hui tout pour que ceux qui n’achètent pas en priorité du « made in France » se sentent coupables… de ne pas être de bons citoyens.